Françoise Bonthe Diallo a suivi un parcours quelque peu atypique qui a su forger la force et la cohérence de ses recherches et expérimentations artistiques. Formée au travail du métal, elle a pris conscience de ce que Deleuze nomme le « regard nomade » à savoir cette perception aux frontières mouvantes, jamais fixées ; l’art de la métallurgie est particulier en ce que certaines de ses étapes s’enchevêtrent les unes aux autres : le métal peut en effet subir des changements d’états qui ne seront pas effectués suivant une pensée ou une action linéaire, chronologique, mais selon une fusion de ces différents moments (le métal chauffé change sa structure pendant que le martelage simultané opère une seconde transformation structurelle, dans une certaine ubiquité).
Il n’est pas étonnant que de là, poussée par un questionnement relatif à la vie plus qu’à l’art donné comme tel, Françoise ait développé des théories et des recherches formelles qui remettent en question la notion de marge. Ainsi elle interroge les limites de nos perceptions, remettant en question le donné pour tel, celui, comme le dit George Perec « qu’on n’interroge pas par le fait même qu’il nous soit habituel », mais qui disparaît derrière nos habitudes.
Nous vivons dans une période de mutations tant urbaines qu’anthropologiques. Nos sociétés, à la base conçues pour une culture unique s’hybrident : différents peuples aux habitudes et perceptions différentes se retrouvent à cohabiter dans des espaces qui ne correspondent plus à leurs besoins, qui n’intègrent pas cette force anthropophage. Françoise pousse ce développement, cherchant à saisir l’instant du déclic perceptif : quand prend-on conscience d’une autre réalité possible ? Comment cette prise de conscience s ‘opère dans notre psyché? Comment rendre compte de ce moment, qui serait celui-même de la transformation, d’un entre-deux états ?
Par le biais de créations dont l’imagerie serait proche d’une pratique du montage visuel, Françoise explore cet état limite, ce point de jonction, fusionnant, tout comme la pratique du métal lui permet d’en prendre plus que quiconque conscience. Ici Françoise ne juxtapose pas deux objets différents, afin de créer une rupture visuelle susceptible d’amener un sens nouveau, elle ouvre l’objet, le retourne, le met à l’envers, place le dedans au-dehors, rend les deux faces visibles, tel dans un ruban de Moêbius ; c’est par la mise à vue de différentes couches de l’objet que Françoise pratique son montage perceptif, c’est dans les contradictions et paradoxes résidants dans une même image que le montage s’effectue.
Plongée en profondeur, Françoise se fait archéologue, relevant de la géologie plus que de la géographie, de la strate plus que de la surface, cela considéré tant du point de vue physique que de celui psychique. Ses images et objets paradoxaux mettent notre pensée et nos sensibilités en situation, c’est dans l’actualisation de notre regard que Françoise travaille, dans cet instant même de la saisie d’un sens jusque-là inaperçu.
Pour Françoise-Bonthe Diallo, nombre d’objets quotidiens, de situations banales, apparaissent telles les sépultures d’un ordre du monde contenant des éléments en devenir : les objets sont créés par l’homme et pour l’homme, ainsi sont-ils à l’image de ses limites. Dans ces limites même, ne peut-on pas trouver toutes les potentialités d’un monde qui advient, dont l’inconscient collectif, pourrait, si l’on se risque à l’arpenter, devenir visible?
Françoise est telle une archéologue du futur, prélevant ces éventualités d’un monde dont le futur sommeil est d’ors et déjà activement au sein de notre présent. Elle nous place dans cet ailleurs temporel, un ailleurs où il s’agit de faire remonter les virtualités présentes à nous : derrière l’image, une autre image, une chaîne d’image, ne sommes-nous pas dans l’ère du virtuel? En perte de référent, l’image devient symbolique, nous place dans un mode d’appréhension global, dans une forme de perception tactile, au-delà du premier plan, ce que Françoise a su saisir, créant des objets informes mystérieux et puissants, puisque de communs et quotidiens, ils se montrent à nous sous le jour de cette étrange familiarité.
Samidoust Gwendoline. Paris, Octobre 2012.